Travaux publics : « l’Etat souffre d’une forme de schizophrénie », Alain Grizaud, président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP)
Le projet de loi de finances pour 2025 concentre les critiques du président de la FNTP pour qui le texte pénalise fortement les collectivités et, de facto, le secteur des TP. Entretien réalisé par Le Moniteur.
Comment accueillez-vous le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 ?
Ce projet envoie un très mauvais signal pour le futur des travaux publics. En privilégiant la réduction des investissements sur celles des dépenses de fonctionnement, il aura pour effet de bloquer la croissance. Il fait en outre l’impasse sur des sujets fondamentaux, tels que le nécessaire financement de la transition écologique, avec pour conséquence d’alourdir notre dette en la matière, mais aussi sur les enjeux de cohésion des territoires, aggravant de ce fait une fracture déjà existante.
Au final, ce budget s’inscrit dans une logique récessive qui va accentuer la baisse des recettes. Or c’est bien le manque de recettes qui plombe aujourd’hui nos finances publiques.
Dans ce budget, les collectivités sont appelées à contribuer à « un effort exceptionnel ». A quel point cela peut-il impacter l’investissement local ?
La série de décisions présentées incitera nécessairement les collectivités à réduire leurs investissements. Citons les 3 Mds € du fonds de cohésion qui seront bloqués ou encore la baisse prévue de 2 points du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). La nécessité de poursuivre la réduction du déficit public dans les années à venir pourrait d’ailleurs amener les prochains gouvernements à l’éroder davantage. Ajoutez à cela le rabotage du fonds vert et la baisse des dotations de l’Etat à l’Agence de financement des infrastructures de transport (Afit France) qui vont à rebours de tous nos objectifs de transition écologique et vous obtenez les éléments d’un blocage en règle des investissements qui frappera prioritairement notre secteur et ses entreprises.
Pourtant, ce gouvernement, dans sa composition au moins, apparaissait plus en prise avec les territoires que les précédents…
Effectivement, la présence d’élus locaux et la création d’un ministère du Partenariat avec les territoires étaient de nature à susciter certains espoirs. Il semblerait bien qu’il s’agissait en réalité d’une forme de « câlinothérapie » à peu de frais.
Les élections municipales s’accompagnent traditionnellement d’une baisse d’activité. Dans ce contexte, l’année 2026 vous inquiète-t-elle davantage ?
Ce sera la double peine. Pour l’heure, nous bénéficions encore d’une certaine dynamique. Le début de l’année 2025 devrait profiter de cet élan et s’inscrire en légère croissance grâce aux dépenses engagées en cette fin de cycle électoral. Mais dès la fin 2025 et tout au long de l’année 2026, nous allons prendre un mur si rien n’est fait dans ce PLF pour maintenir l’investissement local. Ce n’est pas de l’alarmisme, c’est du réalisme.
Ne jugez-vous pas nécessaire de s’attaquer à la réduction des dépenses des collectivités ?
Avant de répondre, il faut en premier lieu s’interroger.
Les collectivités sont-elles véritablement la source de tous les maux ? N’est-ce pas d’abord à l’Etat de réduire ses dépenses de fonctionnement ? Ceci étant dit, je plaide pour une approche pragmatique concernant la gestion des dépenses des collectivités. Cela suppose, dans un premier temps, de clarifier la répartition de leurs compétences selon les strates.
C’est seulement sur cette base qu’elles pourront obtenir des financements dédiés, adaptés et pérennes. Il faut en finir avec ces politiques de stop and go permanentes qui créent de l’incertitude pour tous les acteurs.
Comment comptez-vous peser sur les débats parlementaires et ainsi infléchir ce projet de budget ?
Nous appelons les parlementaires à rééquilibrer les choses. Ils ont conscience, comme nous, qu’il existe des efforts à consentir en termes de fonctionnement, mais qu’ils doivent être réalisés sans sacrifier l’investissement indispensable à leur territoire.
Vous l’avez dit, le fonds vert a été de nouveau raboté, alors même que la FNTP milite depuis des années en faveur de la transition écologique des infrastructures. Faut-il y voir un constat d’échec ?
A nos yeux, il ne s’agit pas d’un échec. Le gouvernement a peut-être renoncé, puisqu’il n’engage pas de moyens à la hauteur de l’enjeu, mais ce n’est pas notre cas. Pour preuve, nous venons d’ouvrir l’école de formation aux enjeux de la transition écologique TP demain, nous avons récemment développé l’outil InfraClimat destiné à adapter les infrastructures au changement climatique, ainsi que la solution Seve afin de mieux piloter l’empreinte carbone de l’acte de construire. Nous continuerons d’avancer, même si nous déplorons une forme de schizophrénie d’un exécutif qui évoque la nécessité de doubler les investissements, tout en annonçant des coupes budgétaires.
Quels mécanismes pourraient prendre le relais de l’Etat pour financer les infrastructures ?
Partant du principe qu’elles apportent un service, l’usager pourrait apporter sa contribution au travers de péages, de fonds contributifs, d’écotaxe… Il faut donner un juste prix à l’infrastructure pour dégager des capacités de la développer et de l’entretenir. On peut aussi faire appel à des financements privés ou participatifs, comme cela existe sur des projets d’énergie renouvelable. Donc oui, nous pouvons faire preuve d’imagination et proposer des solutions, encore faut-il que le gouvernement les reprenne et les assume.
Installé en 2021, le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) devait dessiner une trajectoire d’investissements sur le temps long. Or la hausse du budget de l’Afit n’a duré qu’un an. Le stop and go est-il inévitable ?
Il semblerait malheureusement que ce soit le cas. La vocation du COI était d’inscrire le financement des infrastructures dans le temps long, mais aussi dans une optique de transition écologique. Le choix opéré aujourd’hui est de revenir à un niveau de dotation comparable à ce qui se pratiquait avant que cette ambition n’émerge. Là encore, nous sommes face à un renoncement total qui, de surcroît, ne s’assume pas. A écouter les acteurs publics, on pourrait croire que le travail sur les CPER Mobilités est toujours en cours et que le plan à 100 Mds € dans le ferroviaire reste d’actualité. Ce n’est évidemment pas le cas.
Dans ce budget, l’essentiel des crédits est alloué au transport collectif. L’avenir des TP s’oriente-t-il vers le rail ?
Les crédits justement accordés au ferroviaire le sont pour rattraper le retard accumulé en termes de régénération.
Nous ne sommes pas dans une phase de développement.
Pour s’en rendre compte, il suffit de constater les difficultés que nous avons à financer le projet du tunnel Lyon-Turin, le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) et autres lignes nouvelles. En outre, cet accent sur le rail ne doit pas faire oublier la dimension essentielle de la route dans nos mobilités, en particulier dans celles du dernier kilomètre.
Les grands projets, y compris ferroviaires, font l’objet de contestations parfois violentes. Craignez-vous que l’Etat fasse machine arrière ?
Plus que des arrêts, je crains davantage des décalages de calendrier, là encore pour des raisons budgétaires. J’espère que des projets structurants, tels que le GPSO ou le canal Seine-Nord Europe n’auront pas à en connaître. Le Lyon-Turin, lui, me paraît trop avancé pour être remis en cause, même s’il reste à régler le sujet essentiel de la création de voies d’accès.
Ensuite, nous restons également très vigilants quant à la continuité du Toulouse-Barcelone et du Toulouse-Narbonne ainsi qu’au tronçon Nice-Marseille.
Le plan Eau se présente-t-il sous de meilleurs auspices ?
J’ai cru lire que la hausse des plafonds mordants était encore décalée dans le temps et que les agences de l’eau seraient encore mises à contribution sur le financement de l’Office français de la biodiversité. Encore une fois, nous étions dans une bonne dynamique puisque les collectivités avaient pris conscience des besoins de renouvellement des réseaux. Malheureusement, là aussi, elles vont subir une politique du coup de rabot avec une remise en cause complète de la doctrine qui veut que l’eau paie l’eau.