Comment ça marche ?

Sous les éco-pavés drainants, les aménagements urbains de demain ?

ESITC Caen

Les têtes bien faites de l’Ecole supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction de Caen (ESITC-Caen) ont mis au point un pavé à base de coquillages. L’objectif de ces “éco-pavés” drainants ? Valoriser des matériaux voués à la déchetterie tout en répondant aux défis posés par le réchauffement climatique.

Adieu pierre et béton, place aux produits coquilliers ! Depuis près de 10 ans, les chercheurs de l’ESITC Caen planchent sur la création d’un nouveau type de pavé.

Un projet de recherche au long cours né en 2010 d’une intuition du directeur de la recherche de l’école, Mohamed Boutouil : “L’un de nos défis est de diminuer l’impact environnemental des matériaux, et donc de la construction en général, explique le directeur délégué de l’ESITC Caen. Quand on s’est rendu compte que notre région, la Normandie, avait une production assez importante de coproduits coquilliers destinés à la déchetterie, la question a été simple : est-ce que cette coquille pourrait être utilisée dans un matériau de type béton, et quelles en seraient les propriétés spécifiques ?” Du laboratoire au terrain, retour sur l’invention de ce pavé, qui, aux côtés d’autres innovations de ce type, pourrait bien participer à modifier nos villes dans les années à venir. 

La Normandie a une production assez importante de coproduits coquilliers destinés à la déchetterie : est-ce que cette coquille pourrait être utilisée dans un matériau de type béton, et quelles en seraient les propriétés spécifiques ?

L’éco-pavé drainant, comment ça marche ? 

L’idée était simple : remplacer les granulats présents dans le béton par des déchets issus de la pêche ou de la conchyliculture (pétoncle, Saint-Jacques, crépidules, huîtres, etc.). “On sait qu’il va y avoir des tensions sur les granulats, dont l’exploitation dans les carrières ne suffit plus à répondre à la demande, en plus d’avoir un impact fort en termes de ressources naturelles”, pose Mohamed Boutouil. Plusieurs chercheurs ont donc planché sur le sujet dans le cadre d’un travail de recherche de thèse. Le premier défi a été de s’assurer de la solidité du matériau : “Dans les premières expérimentations, on avait trouvé que les résistances étaient faibles par rapport aux granulats classiques, mais que nos pavés répondaient tout de même aux exigences techniques des pavés classiques en termes de résistance à la traction”, expose le directeur de la recherche. “On a alors décidé de tirer avantage de cette porosité, qui permettait de laisser passer l’eau de ruissellement”. Une propriété drainante qui permet de lutter contre l’accumulation d’eau au cours d’épisodes pluvieux importants, ou même de combattre le phénomène des îlots de chaleur urbains en restituant la fraîcheur. “Avoir un matériau poreux et résistant, c’est théoriquement très difficile : plus vous avez de porosité, moins vous avez de résistance. Ce sont deux propriétés qui évoluent en sens inverse, il fallait trouver le point d’équilibre entre les deux. Et grâce à nos travaux de recherche, nous avons réussi à créer le matériau résistant, drainant, et qui puisse durer dans le temps”, se félicite Mohamed Boutouil. Et pour développer cette nouvelle fonctionnalité de l’éco-pavé, un nouveau projet de recherche baptisé Fresh-Ecopavers a été lancé en juillet 2020.

 

L’éco-pavé à l’épreuve du terrain 

Avant de lancer cet éco-pavé 2.0, le déploiement de la première version est d’ores et déjà bien entamé. En collaborant avec l’ensemble de la filière, des producteurs de coquilles aux entreprises de fabrication, le laboratoire de recherche a pu mener un chantier test dès 2016. “On a profité de l’agrandissement de notre école pour faire 120 mètres carrés de parking en éco-pavés. L’entreprise de travaux publics Eurovia nous a accompagnés pour la mise en place des pavés, qui doivent s’intégrer à la sous-structure. Cela n’avait jamais été fait avant : les pavés drainants ne se posent pas de la même façon que du bitume classique. Il a fallu mener une réflexion commune et imaginer les différentes couches, pour que toute la structure soit drainante”, précise le directeur délégué du laboratoire. Une première expérimentation surveillée de près par les ingénieurs de l’ESITC, et qui donne pour l’instant d’excellents résultats : « C’est toujours une gageure de passer à la production, mais cela a fonctionné”, se réjouit Mohamed Boutouil. 

Ce succès a conduit l’entreprise Alkern à commercialiser les éco-pavés. Ces derniers ont donc été utilisés par un certain nombre de collectivités locales, dont la ville de Wimereux. Aujourd’hui, ce sont Nice, Saint-Malo et Caen qui sont intéressées par la réalisation de projets d’aménagements urbains utilisant les éco-pavés développés par le laboratoire, même s’ ils restent plus chers qu’un pavé standard. Ce nouveau matériau témoigne de la volonté de la filière de préserver les ressources naturelles et de s’orienter vers des solutions de recyclage parfois surprenantes, mais toujours innovantes.